Comme la plupart des jours se terminant en «di», Jos la Conscience et Pit le Nombril se retrouvent à disserter devant des tasses de café tièdes dans l’établissement à l’enseigne bien connu qui accueille tant de leurs semblables … et de leurs dissemblables en mal de malbouffe toute prête et de toilettes plutôt proprettes. 

En ce matin frisquet et grisâtre, nos deux compères pourraient ne pas déroger à leurs habitudes et passer en revue leurs thèmes de prédilection. Et, par exemple, analyser les résultats du hockey de la veille ou soupeser les chances de leur équipe chouchou dans le merveilleux monde des sportifs millionnaires. Ou encore s’apitoyer sur le sort vraiment peu enviable de tous ces peuples lointains victimes de l’intolérance et de la répression qui nous sont heureusement épargnées dans notre beau pays. Peut-être même comparer les mérites et les désagréments que leur procure leur panoplie personnelle de gélules, de tablettes et de sirops qui sont sensés soulager scientifiquement «des ans l’irréparable outrage». Puis, finalement, tant qu’à faire, déblatérer encore une fois copieusement contre les charlatans de la météorologie  qui, tels des avocats ou des économistes, semblent rémunérés pour nous abreuver de promesses trompeuses et orageuses.

Aujourd’hui cependant, Jos la Conscience prend son copain de court quand celui-ci, pince-sans-rire, risque :

«Tamalou, ce matin ?

— J’ai un accès de démo-myalgie.

— Un accès de quoi ?

— Ma démocratie me fait souffrir.  Et la tienne ?

— Si tu crois que, avec toutes mes autres épreuves, j’ai le loisir de me soucier d’elle …

— Comme c’est dommage, car elle aurait bien besoin que tu t’en soucies un petit brin !»

Et c’est sur ce ton que Jos La Conscience  s’est mis en frais de persuader Pit Le Nombril que, faute de se pencher sérieusement sur la masse musculaire de sa démocratie, quitte à recourir à l’endoscopie voire à la biopsie, on se saurait deviner si l’inflammation du moment se réduit à une simple réaction de défense immunitaire contre un agent externe assez inoffensif ou, si au contraire, elle cache des maux plus profonds pouvant conduire à une dégénérescence du tissu ou de l’organe en question. Qui sait si, là-dessous, ne se cacherait pas une prolifération cellulaire anormale, auquel cas il faudrait d’urgence faire appel aux plus éminents spécialistes.

Perplexe devant tant de science insoupçonnée, Pit le Nombril lance alors à son docte vis-à-vis :

«Si je comprends bien, tu juges que ta démocratie est mal en point. Donne-moi plutôt quelques manifestations concrètes de ton diagnostic, que je comprennes un peu pourquoi tu t’en prends aujourd’hui à un système politique qui fonctionne depuis belle lurette et qui nous permet de progresser dans l’ordre et la prospérité. Et tu as intérêt à être clair et bref parce que, avec ce printemps qui n’en finit plus de se faire attendre, je risque d’avoir la patience courte et de te rabattre le caquet sur des sujets moins barbants.»

Justement interloqué, Jos la Conscience en profite pour se vider le coeur au lendemain d’un débat télévisé qui l’a privé de ses émissions hebdomadaires préférées. Le voici donc qui s’attèle à dénoncer les symptômes  de son affliction démocratique en ces termes :

«1. Mon vote se perd dans un système électoral suranné, hérité du temps où les élites britannique se disputaient poliment le patronage de leurs quelques milliers de protégés. Comment peut-on se gausser de «victoire» quand, dans un scrutin à un seul tour, on a simplement recueilli une voix de plus que son plus porche concurrent, dans égard, dans presque tous les cas, pour la majorité des électeurs  qui n’ont pas opté pour le «vainqueur» et qui ont donc entièrement gaspillé leur suffrage ? Il n’est pas étonnant que les taux de participation chutent dramatiquement. Trop de citoyens ont l’impression fondée que les dés sont pipés d’avance dans leur circonscription.

2. Mon vote unique se noie dans le dilemme qui oppose souvent la préférence pour une tendance politique et l’attachement à une personnalité spécifique. Pourquoi ne pourrais-je pas voter pour un candidat qui a mérité que je l’aime bien, d’une part, et, de l’autre, pour un parti qui n’est pas le sien ? Pourquoi ne puis-je pas dissocier les deux, comme cela se pratique dans d’autre pays démocratiques ? Il suffit que chaque citoyen dispose de deux votes, l’un, direct, pour la personnalité de son choix et l’autre, indirect, pour la tendance de son choix. Comme résultat, la chambre des députés est alors composée pour une moitié de personnalités élues directement et pour l’autre moitié de candidats proposés par les partis politiques.

3. Mon vote serait tellement plus valorisé dans une formule où la répartition des sièges au parlement correspondrait au pourcentage total des voix obtenues par chacune des formations partisanes, quitte à fixer un seuil de respectabilité pour éviter un émiettement excessif des sièges. Certes, sauf aberration, l’adoption de la proportionnelle empêcherait presque automatiquement qu’un seul parti obtienne la majorité absolue des sièges et la perspective d’un gouvernement majoritaire serait quasi illusoire. Mais quelle obsession pousse tant de nos compatriotes à souhaiter l’établissement d’un gouvernement majoritaire qui n’en fasse qu’à sa tête jusqu’à ce que l’électorat, écoeuré, ne lui montre la porte de sortie lors d’un scrutin ultérieur pour le remplacer peut-être par une autre gouvernement majoritaire ? Un État s’en porte-t-il plus mal si ses dirigeants doivent négocier et s’entendre sur un programme commun pour que celui-ci reflète les voeux de la majorité de la population ?

4. Mon vote se sent floué par la personnalisation excessive des débats qui transforme la consultation en arbitrage de combats de coqs qui rivalisent de démagogie. D’un côté, j’aimerais pouvoir faire confiance à des gens responsables qui se font un point d’honneur de pratiquer la transparence et la concertation, qui établissent des priorités crédibles pour améliorer notre sort dans les années à venir et qui usent d’arguments fondés pour me convaincre de la justesse de leur programme. Je suis navré par les prédictions des sondeurs et les analyses des performances. Si c’est celui ou celle qui a su le mieux parer les attaques de ses adversaires ou courtiser les plus gros contingents d’indécis qui décroche la palme de la joute électorale pour présider à mes destinées dans les prochaines années, alors, oui, mon vote n’en mènera pas large.»

Tout-à-fait éberlué et peu coutumier de telles tirades, Pit le Nombril achève de mâchouiller sa tasse de styromousse. En guise de soulagement à l’endroit de son copain embobiné, il ne trouve que cette réplique laconique :

«Au moins, je m’engagerai à poursuivre les perfusions au-delà du 2  mai prochain».

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Comme la plupart des jours se terminant en «di», Jos la Conscience et Pit le Nombril se retrouvent à disserter devant des tasses de café tièdes dans l'établissement à l'enseigne bien connu qui accueille tant de leurs semblables ... et de leurs dissemblables en mal de malbouffe toute prête...