Argument massue ou faux prétexte?

Le gouvernement Harper a annoncé qu’il devra réduire à plus long terme le taux de croissance du budget fédéral alloué aux prestations aux aînés. La croissance de ce budget utilisé pour payer les prestations de la Sécurité de vieillesse (SV) et du Supplément de revenu garantie (SRG) serait financièrement insoutenable à long terme. Pour démontrer aux Canadiens la justesse de cette affirmation, le gouvernement Harper a mis l’accent dans ses communications sur le fait que le montant des transferts aux aînés triplerait dans les vingt prochaines années. Il passerait de 36,5 milliards de dollars en 2010 à 108 milliards de dollars en 2030. Ces projections sont très fiables car elles ont été tirées d’un rapport signé par l’Actuaire en chef du Canada, M. Jean-Claude Ménard. [1]

Plusieurs économistes, journalistes et éditorialistes ont fortement critiqué dans les dernières semaines le fait que ces montants de dépenses sont affectés par l’inflation et ne font aucunement référence à croissance économique des vingt prochaines années. Selon eux, il est préférable d’approcher la question de la soutenabilité financière de ces transferts en discutant de l’évolution du ratio de ces dépenses au PIB. Selon l’actuaire en chef du Canada, le ratio de ces dépenses passerait de 2,25 % en 2010 à 3,14 % en 2030. Cette augmentation de 89 points de pourcentage ou de 40% (3,14/2,25) est beaucoup moins spectaculaire que celle de 195% (108/36,5) présentée par le gouvernement Harper. L’argument massue du gouvernement pour justifier une baisse du taux de croissance de budget de ces transferts perd ainsi beaucoup de poids.

Une augmentation de 40 % du ratio des dépenses au PIB n’est toutefois pas négligeable. Les questions que nous devons nous poser sont les suivantes : (1) Quelle est la source de cette augmentation? (2) Sera-t-elle permanente ou deviendra-t-elle encore plus importante à long terme? (3) Est-ce que la situation financière du gouvernement permet d’absorber cette augmentation ou faut-il la réduire?

Réponse à question 1. La source de cette augmentation est l’augmentation du nombre de bénéficiaires due au vieillissement de la population. En effet, les bénéficiaires de la SV et du SRG vont augmenter respectivement par un facteur de 2,5 et 2,2 sur la période 2010-2030. Cela n’a rien à voir avec une mauvaise gestion ou avec une nouvelle interprétation de l’éligibilité des récipiendaires. Il faut accepter cette réalité démographique.

Réponse à la question 2. Il est intéressant de souligner que dans les années 90 ce ratio a atteint la valeur de 2,72 % alors que nous avions une économie beaucoup moins développée. Et on n’a pas crié à l’insoutenabilité financière de ce type de dépenses. Si ce ratio allait à long terme continuer de croître, comme l’a laissé sous-entendre le gouvernement, on pourrait penser que le gouvernement a raison de vouloir réduire le taux de croissance à long terme de ces transferts aux aînés. Cependant dans son rapport, l’actuaire en chef nous dit que les pressions démographiques diminueront et feront baisser ce ratio à partir de 2030 pour atteindre 2,33 % en 2060. On revient donc tout près de la situation présente. Cette projection a pour effet, selon moi, de détruire complètement l’argument massue du gouvernement sur l’insoutenabilité du présent programme de transferts aux aînés. La décision du gouvernement Harper serait donc liée davantage à l’objectif de réduire la taille du gouvernement fédéral.

Réponse à la question 3. Tout ceci me pousse à croire que la situation financière du gouvernement permet absorber l’augmentation du ratio des dépenses de transferts aux aînés. Cette absorption serait d’autant plus facile que le ratio du budget de l’ensemble des transferts aux particuliers sur le PIB est encore plus stable que le ratio des transferts aux aînés sur le PIB. Cette situation est reliée au fait que les pressions démographiques sur les prestations aux enfants et sur celles de l’assurance-emploi sont faibles.

Nos gouvernements doivent faire absolument la revue de l’ensemble des régimes publics de pension des Canadiens qui sont fortement affectés par l’allongement de l’espérance de vie, par le vieillissement de la population et par de plus faibles taux réels de rendement sur les actifs des caisses de retraite. C’est une tâche difficile compte tenu de la complexité de la problématique. Cette revue doit être faite de façon globale et avec la collaboration de tous les gouvernements. Faire cette revue à la pièce et en commençant par une réduction du pouvoir d’achat des aînés qui sont ou seront tout au bas de l’échelle des revenus est une des pires façons de commencer cette revue. Oui, il est important de faire une telle revue, mais il faut surtout éviter de mal la faire.

[Voir l’examen actuariel, au 31 décembre 2009, du régime de pensions établi en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, http://www.osfi-bsif.gc.ca/app/DocRepository/1/fra/rapports/bac/OAS9_f.pdf

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO

https://www.retraiteenaction.ca/le-magazine/wp-content/uploads/sites/7/2015/07/logorea.jpghttps://www.retraiteenaction.ca/le-magazine/wp-content/uploads/sites/7/2015/07/logorea-150x108.jpgActualités économiquesNos chroniqueursgouvernement Harper,Harper,Jean-Pierre Aubry,sécurité de la vieillesse
 Argument massue ou faux prétexte? Le gouvernement Harper a annoncé qu’il devra réduire à plus long terme le taux de croissance du budget fédéral alloué aux prestations aux aînés. La croissance de ce budget utilisé pour payer les prestations de la Sécurité de vieillesse (SV) et du Supplément de revenu...