Accueillir chaque réveil avec l’avidité d’un enfant… pourquoi pas?

Cette réflexion vous est proposée par Jacqueline Pelletier

(Jacqueline – Membre de REA et du conseil d’administration de la Coopérative funéraire d’Ottawa)

Le soleil s’étire à l’horizon, semblant surpris d’être encore une fois de retour, comme un bambin impatient d’explorer la journée qui s’amorce. Moi, j’essaie d’absorber ce qui arrive. Quelques appels d’amis et parents inquiets, courriels, nouvelles alarmantes…Ben voyons donc! Je fais quoi de ma journée moi COVID???

Je m’élance vers fil, aiguille et ciseaux pour présider une grande réunion! Vrai comme je suis là, j’ai cousu un bouton qui soupirait discrètement depuis deux ans sur la commode dans l’attente de retrouvailles avec une blouse achetée il y a 200 ans chez Coton Ginny qui n’existe plus et que je regretterai éternellement. Moi, j’aime le coton. J’aime beaucoup le coton! Bouton cousu.  Grande émotion grâce à toi COVID, merci. Enfin, mais bon, merci quand même.

C’étaient les premiers temps du confinement.

Lundi, mardi, vendredi… parmi les courriels les farces sont incessantes, à la télé, les nouvelles, déprimantes. Des amis d’ici perdent un parent âgé un bébé de la famille nous découvre à l’écran… nous reconnaîtra-t-il dans la vraie vie?  Qui sait!

Deuxième semaine. Une amusante impression de délinquance m’envahie alors que ce mardi ou mercredi qui sait, je prends conscience du vélo qui sommeille dans un coin  de la chambre.  Bon bon… je m’élance en pyjama vers la bête. 20 tours, 40, 100…en un rien de temps, nous retrouvons tous deux notre bonne humeur.

Troisième semaine de confinement, j’ai  l’impression que ma vie reprend grâce à toi COVID! Façon de dire, reprend… comme lorsque j’avais 18 ans? 25?

Je souris,  je rêve,  au point d’en oublier… presque… mon café! Je me sens légère, étourdie. J’enfile du vieux mou aux couleurs bigarrées et mes pantoufles. J’aime ça.

Café, céréales, Télé… Le Droit, La Presse… trop de tristesse… Ah tiens: les mots croisés et pourquoi pas, moi qui les ai toujours ignorés.

Deuxième café, Ricardo, Di Stasio et Jehanne Benoît répartis entre les restes du petit déjeuner, j’entreprends la recherche de quoi donc? Agneau? Saumon? Risotto? pain… Je n’ai jamais de ma vie cuisiné un pain! Demain peut-être…

11:00… ben voyons donc! Oh boy. Je m’étais promise de jouer le piano!

Dépoussière le clavier, tire le banc lourd de Chopin, Gagnon, Barbara! Les mélodies s’emparent de mes doigts et voilà oubliée la cuisine!

Ouais mais… toujours en arrière plan, les données hallucinantes sur l’état de la planète assaillie – les atteints, les guéris, les décédés… les vieux. Comme moi, vieux. Et parsemés ici et là, les usines transformées  » sur un dix cenne »,  les efforts surdimensionnés des gouvernants… L’humanité à son meilleur sous mes yeux… et moi  qui me prépare à poursuivre un casse-tête…

Ainsi tout au long des journées, des lendemains, des semaines. Je m’invente au gré des tentations, des craintes et des souvenirs qui me taquinent l’esprit, des promenades dans mon quartier… et sans trop m’en rendre compte, à coups de rires, d’airs murmurés… je sens que je tombe en enfance! Pire… j’aime ça!

Si seulement je parvenais chaque jour à tomber en enfance, à envisager l’arrivée du jour comme une renaissance! Vieillir, oui, je vieillis. Mais accueillir chaque réveil avec l’avidité de l’enfant…

Il est écrit que nous avons le choix: aborder chaque jour comme peut-être le dernier, ou, l’entreprendre comme s’il s’agissait du premier. Déplorer ses misères réelles ou soupçonnées du matin au soir et se coucher pensant qu’il n’y aura peut-être pas de lendemain, ou tarder à dormir parce que trop excitée par les projets à venir…

L’enfant curieux et timide que nous fûmes, l’adolescente parfois bougonneuse, parfois survoltée,  ils vivent en moi, en nous peu importe notre âge! Elles sont là à s’exprimer, rêver, à demander d’être entendues! Elles nous ont précédés et aujourd’hui, nous tendent la main! Alors: on leur annonce notre départ prochain ou… on les accueille?… on se joint à eux!

« Il s’agit donc de retrouver l’enfantin (et non l’infantile), c’est à dire l’esprit de révélation » écrit Pascal Bruckner. (1)

Initier, oser, apprendre… vieillir en rajeunissant!

Merci sacré COVID. Tout d’abord, tu m’as épargnée, en tout cas pour l’instant. J’en suis intensément reconnaissante. J’ai repris la lecture et redécouvert le jeu, approfondi les relations et ricané longuement avec mes êtres chers grâce aux ZOOM de ce nouveau monde que j’apprivoise petit à petit. J’ai beaucoup marché et me suis amusée à concocter des plats. Et plus que tout, j’ai compris à quel point je suis privilégiée.

Je t’accuse cependant COVID. Meurtrière, arrache-coeur, voleuse de rêves, tu bouscules tout, nous laissant suspendus dans un grand vide. Difficile de maintenir mon regard d’enfant…

Ceci dit, j’apprécierais encore un peu de confinement… deux ou trois autres boutons patientent sur la commode, je n’ai pas encore joué à mon goût, et je dois tenter de me coiffer pour le match de scrabble virtuel des jeudis. Je veux plus de temps pour réfléchir surtout. Devant l’épouvantable tragédie que tu nous fais vivre COVID, je prévois qu’il me faut du temps encore pour mieux apprivoiser l’art de tomber en enfance. Je sens que j’en aurai bien besoin.

Veuillez noter que vous pouvez télécharger la version audio de ce texte du site de UNIQUEFM94.5.

 

  1. Pascal Bruckner, Une brève éternité, Philosophie de la longévité, Grasset 2019, p. 102

 

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