Par Danielle Carrière-Paris

(Photos fournies par Denise Lemire. Veuillez cliquer sur les photos pour les agrandir)

On dit que « La résilience, c’est l’art de naviguer dans les torrents (citation de Boris Cyrulnik) » Denise Lemire, membre de REA, et son époux Gilles Laporte en font preuve… littéralement.

Le couple compte parmi les passagers à bord du bateau de croisière Zaandam de Holland America Line, astreints à vivre l’interminable attente d’un retour au pays, en raison de la nouvelle ère d’incertitude liée à la pandémie du Coronavirus (COVID-19).

Le 2 mars 2020, question d’échapper au froid hivernal canadien, Denise et Gilles se dirigent joyeusement vers Buenos Aires, avant d’entreprendre à compter du 7 mars deux croisières consécutives d’une durée totale de 31 jours en Amérique du sud. Ils envisagent naviguer en toute quiétude de Buenos Aires à Montevideo, en passant par Ushuaia, la Terre de feu à l’extrême sud du continent sud-américain, pour revenir paisiblement, le 7 avril, à Fort Lauderdale par le biais du Canal de Panama.

Mais, le destin en décida autrement…

Sept jours après leur départ, la composante touristique de leur croisière est soudainement écourtée en raison de la pandémie. Les restrictions de voyages annoncées à l’échelle planétaire s’intensifient de jour en jour et on déconseille fortement les voyages en bateau de croisières. Puis, le 16 mars le premier ministre canadien, Justin Trudeau, annonce :  « Je veux être clair : si vous êtes à l’étranger, c’est le temps de rentrer chez vous ».

Facile à dire, mais pas si facile à faire lorsqu’on est à bord d’un navire à cent milles lieux de chez nous, parmi des passagers provenant des quatre coins du monde et où les consignes varient de pays en pays. Mais à ce point-ci, les choses se déroulent plutôt bien pour les voyageurs à l’abri de l’agitation du monde extérieur. Ils profitent des spectacles et des conférences dans l’environnement douillet du luxueux navire, où le personnel attentionné leur sert des repas savoureux.

Or peu après, les choses se détériorent. Quatre décès, puis 13 passagers et 29 membres de l’équipage qui présentent des symptômes de grippe. L’équipage ne possède ni les compétences, ni l’équipement nécessaires pour déterminer s’il s’agit de la COVID-19. Chose certaine, toutefois, la situation alarmante justifie la mise en œuvre du protocole prévu par le Centers for Disease Control and Prevention.

Donc, plus question de marcher librement sur le pont, sauf pour de courtes périodes de trente minutes autorisées durant les « fresh air days ». Tous les passagers sont maintenant confinés dans leur cabine respective. Ouuuffff! Les repas, serviettes propres et… un jeu de cartes… sont livrés à la porte de leur chambre. Gilles se transforme, dès lors, en avide miroiseur. Il passe d’innombrables heures à fixer, par le hublot, la mer et les oiseaux qui survolent son immensité.

Le 25 mars, lors d’un de ces « fresh air days », les consignes sont  particulièrement restrictives : NE TOUCHEZ À RIEN, n’utilisez pas les ascenseurs, n’empruntez que les portes à l’avant du navire, ne vous assoyez pas sur les chaises, ne vous approchez pas des autres passagers et ne dépassez pas les 30 minutes allouées pour vous dégourdir les jambes. L’ampleur de la contamination potentielle les rattrape aussitôt, mais on prend tout de même le temps de se laisser caresser par le soleil et d’admirer les dauphins.

Puis, le 27 mars les choses vont de mal en pis. On apprend avec tristesse que 85 membres de l’équipage et 60 voyageurs sont maintenant malades, dont deux sont atteints de la COVID-19. Inutile de dire que les voyageurs et les 586 membres de l’équipage ont la mine basse et que les circonstances engendrent un sentiment omniprésent de précarité et de futilité.

Pour sa part, le couple Lemire / Laporte est sous le choc. On a beau être de nature positive, lorsqu’  « On a vu les gens aux nouvelles avec les affiches ‘Help me!’ Ça nous énerve, car ça  ne sert à rien. C’est sûr qu’on est un peu anxieux, mais on y va au jour le jour. » Heureusement, Denise et Gilles gardent un contact étroit avec ceux et celles qui leur sont chers et ils passent beaucoup de temps sur Facebook à répondre aux nombreux témoignages empreints d’affection et d’empathie.

Leur fils Martin, qui fait partie du groupe d’humour et d’improvisation franco-ontarien « Improtéïne », tente de leur remonter le moral par sa bonhommie (parfois cinglante) qui fait sa renommée. Il vient d’afficher sur le Facebook de maman Denise : « J’ai pas pris de chance, j’ai mis votre maison à vendre ». Ha! Ha! Ha!

Entre temps, le navire tente en vain d’accoster au Chili, à l’Équateur et ailleurs. Aucun pays ne veut les accueillir. On exige que les passagers soient mis en quarantaine pendant 14 jours avant de pouvoir accéder à la terre ferme. « On se sent comme des pestiférés », déplore Gilles.

Le navire, qui a fait le ravitaillement, vogue en eaux tranquilles sans destination précise, avant de s’ancrer au large de Panama City en attente d’une réponse favorable pour traverser le canal.

Parmi les 1 243 passagers à bord du Zaandam, on compte 248 Canadiens, dont un membre d’équipage et quatre voyageurs franco-ontariens d’Orléans (notamment, Denise et Gilles ainsi que Lucie et Michel Cayouette, qui sont aussi membres de REA). Près de 800 d’entre eux sont bien-portants. Plusieurs seront relocalisés sur un autre navire identique, le Rotterdam, question de répartir la charge de travail dans les deux bateaux et de donner accès à des balcons à ceux et celles qui n’en n’ont pas. Denise et Gilles comptent parmi les chanceux à y être assignés. Ils affirment : « L’organisation du transfert était tout à fait spectaculaire, très bien coordonné. La navette brassait beaucoup mais on est arrivé à bon port ou à bon navire. » On ignore, pour l’instant, ce qui se passe sur le Zandaam et où on se dirige, mais on croit comprendre que les deux navires feront route ensemble.

Puis, dans la nuit du 29 mars, la traversée du Canal de Panama s’effectue en catimini, les lumières éteintes et les rideaux tirés pour ne pas attirer l’attention. La croisière touristique est maintenant en mode « mission d’aide humanitaire ». Certains services dont celui de la buanderie, ne sont plus disponibles et les passagers demeurent dans la pénombre.

Au réveil, les voyageurs se retrouvent dans les eaux calmes des Caraïbes dans l’espoir d’atteindre éventuellement un port qui les autorisera à accoster et un aéroport qui leur permettra d’entrer chez eux. Ainsi, tôt le 2 avril, après de longues discussions entre Affaires mondiales Canada, les autorités américaines et des partenaires d’autres pays, on autorise les croisiéristes à accoster au port Everglades, à Fort Lauderdale, en Floride. On demeure néanmoins d’un optimisme prudent, puisque les 800 passagers auront à passer par le contrôle de santé puis, par l’immigration. Ce ne sera pas facile, mais selon Denise, « C’est quand même pas mal plus intéressant que la cabine! ».

Vendredi le 3 avril, après 14 « fresh air days » et 11 jours de confinement complet, le retour au pays est imminent. Tous les détails ne sont pas encore divulgués mais les croisiéristes savent que le réveil se fera d’un chaud matin afin d’être prêts dès 8 h. Le trajet vers l’aéroport de Fort Lauderdale se fait en autocar, escorté par une escouade de motards de service. Comme dans les films, de nombreux policiers en motocyclette arrêtent la circulation pour les laisser passer. C’est le cas de dire, « Envoye à maison, p’is ça presse! »

À l’aéroport de Toronto, les voyageurs sont assujettis au protocole improvisé et en constante évolution. Ils se lavent les mains; ils se soumettent, une fois de plus, à un contrôle de santé et à une prise de température;  on leur donne un nouveau masque, avant de passer aux douanes. Le tout prend  quelques heures. Grrrrrr! Peu importe, on respire par le nez et on garde le moral car Denise et Gilles anticipent avec trépidation leur arrivée à Ottawa.

Finalement, le retour au bercail s’effectue en douceur vers 21 h. Un lit confortable et un frigo bien garni les attendent, grâce à la bienveillance de leur fils.

Le 4 avril, empreinte de sentiments mitigés suite à ce périple affolant, Denise déclare : « Eh bien, on est chez nous à Orléans. Pas sûr comment on se sent ce matin. Notre aventure a pris fin hier en arrivant à l’aéroport d’Ottawa. Ce fut la journée la plus épuisante de notre voyage… »

Il suffit maintenant de s’auto-isoler pendant 14 jours. Heureusement, cette fois le confinement se fera dans un espace beaucoup plus spacieux que celui des cabines étroites qui leur avaient servi de nid depuis un peu plus d’un mois.

 

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Par Danielle Carrière-Paris (Photos fournies par Denise Lemire. Veuillez cliquer sur les photos pour les agrandir) On dit que « La résilience, c’est l’art de naviguer dans les torrents (citation de Boris Cyrulnik) » Denise Lemire, membre de REA, et son époux Gilles Laporte en font preuve… littéralement. Le couple compte parmi les passagers...