Voici autre beau texte de Jacqueline Pelletier qui porte sur l’amitié, cette fois-ci. Il est empreint d’une douce  nostalgie qui se pointe en ce temps de pandémie… il fait du bien à l’âme…

Pardonnez-moi d’interrompre votre sieste – ou, est-ce plutôt ton 60 Km de vélo Denise? Une excursion en kayak Louise? L’entretien du jardin communautaire Claudette? J’éprouve un profond besoin de vous écrire ce mot qui me trotte dans la tête depuis une semaine ou deux. Le confinement me rend nostalgique et puisque mon unique occupation cette semaine est de tout faire pour éliminer le surpoids du confinement – et ça marche – eh bien, j’ai du temps. L’interdit de grignotage me libère des heures pour réfléchir et surtout, pour me souvenir.

Notre maison vous reste inaccessible – un véritable arrache-coeur. Mais mon coeur lui, il vous est grand ouvert! Trois d’entre vous atteignent ces mois-ci l’inimaginable 80. Ma foi, j’ai dû dormir un Rip Van Winkle pour ne pas m’en rendre compte! Mais où sont passées ces années? Où étais-je? Et quel âge ai-je, moi?

Hier…enfin hier à peine, nous avions 25, 30 ans au plus. Nous partions vers les plages du Main, six filles en liberté, la galerie de toit de la fourgonnette chargée de tentes et sacs de couchage, alors que derrière les sièges, tout l’espace voulu était réservé pour nos folles escapades dans les “outlets”. En soirée, après les dégustations de “clams” et homards sur les quais de Booth Bay Harbor, nous envahissions un bar, je m’installais au piano pendant la pause syndicale et la clientèle entière se joignait à nos chants, français comme anglais. J’ai souvenir aussi des migraines de brosse qui s’ensuivaient!

Il y eut au fil des ans les innombrables célébrations d’anniversaires chez l’une ou chez l’autre, les fêtes costumées de l’Halloween, les concerts en plein air à Camp Fortune et tant d’autres prétextes pour nous réunir et rire, tellement d’éclats de rire!

Pendant toutes ces années qui ont déballé sans cesse leurs plaisirs et aventures folâtres, les hommes de nos vies nous ont accompagnées, doux et généreux compagnons s’affairant calmement au BBQ ou au bar, distribuant les plats bien garnis, se joignant à nos extravagances par moments, nous observant en silence parfois, sourire aux lèvres. Tant de doux moments, tant de camaraderie, sans jugements ou feintes. Unis par des valeurs fondamentales, tous, nous savions reléguer à l’arrière-plan les divergences politiques, les questionnements sur les modes de vie ou les autres frénésies si peu importantes dans le grand plan des choses.

Puis sont venues les années de travail professionnel intense, certaines d’entre nous sollicitées par des occupations de plus en plus exigeantes, parfois au loin. Mais toujours nous avons su nous retrouver pour rire, chanter et puiser dans le coffre à trésor des enfants costumes, gants de soirée élégants, chapeaux à voilette et ”sacoches” démodées pour initier ainsi un autre bal des étourdies. Quel bonheur, quelle richesse!

Il y eu des deuils, de terribles deuils. Perte d’un conjoint, perte d’une conjointe, pertes de soeurs et frères partis trop jeunes, de parents âgés nous laissant orphelines ou orphelins. Il y eut aussi des maladies terribles qui ont plané au-dessus de nos fêtes, comme d’indésirables papillons noirs. Nous avons eu beau nous serrer les coudes, pour certaines, certains, la douleur imposait parfois des périodes de solitude, de retrait. Mais toujours et sans le moindre doute, nous nous savions là, les un.es et les autres. Cela je le crois au plus profond de mon coeur.

Quelques plus jeunes se sont greffées à nous dont ma compagne, juste comme ça, sans questions, sans étonnement. Elles nous connaissaient! Nous avions la loyauté et le rire en commun. Dès les premiers temps, elles furent prévenues: vous serez nos bâtons de vieillesse! Il fut même question à une époque d’ériger une résidence à unités distinctes avec de vastes zones communes. Beau projet, mais on ne transforme pas une bande d’indépendantes en colocs. Car avouons-le, nous avons beau nous aimer, chacune a son tempérament, ses manies, ses habitudes et…c’est bien ainsi.

Le temps des fins de carrière est venu, plus tôt pour certaines que pour d’autres. De nouveaux conjoints et conjointes se sont courageusement intégrés à notre groupe tissé serré. Nous avons même célébré des mariages inattendus et tellement réjouissants! Et puis, il y eut les hivers prolongés en Floride pour certains, les escapades de ski dans les Alpes ou au Colorado pour d’autres, les séjours prolongés au Portugal et même les semaines de camping d’hiver, les tours d’ici et de là à vélo, les mois d’été au chalet, les voyages de découverte en Asie – mais rien de ces vas-et-viens n’a su nous séparer. Au contraire, les retrouvailles, chaque fois, furent de plus en plus émouvantes. Même celles de ces temps-ci, virtuelles, mais tout autant joyeuses.

Parfois, lasse du confinement et affublée par l’insomnie, je nous revois dans la belle maison campagnarde de Loulou, regroupées à son insu autour d’un ridicule foyer électrique portable, branches et guimauves se faisant aller au rythme de nos niaiseries. Ou encore à 10 en camping, entourées d’au moins 15 glacières de bons vins, hamburgers et saucisses italiennes et d’autant de sacs de ‘cochonneries’ tandis que Paulette se pavanait en louangeant les vertus des fruits, légumes, graines et haricots santé! Ah mes amies et amis, quels doux souvenirs! Nous l’avons toujours su, notre amitié nous liera jusqu’au bout de la route. Le confinement? Bah, ce n’est rien! Un triste passage dont nous nous remettrons ensemble un d’ces.

Voilà que nous avons déjà souligné une 82, ces temps-ci trois 80 et qu’une bonne grappe dont moi poursuit la route dans les 70, tandis que quelques-unes claironnent leur jeune soixantaine, toutes et tous retraités sauf une.

Que sont mes amies et amis devenus? De belles têtes blanches, des visages ridés de tant de rires et de pleurs aussi, chacune et chacun portant dans son histoire les pièces d’une courtepointe qui nous garde le coeur au chaud. Merci la vie, merci.

 

Jacqueline Pelletier, Membre de REA et du CA de la Coopérative funéraire d’Ottawa (CFO)

Paru aussi dans la revue Vivre + de la FARFO

 

 

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